Jacques Capelovici
 

Jacques Capelovici lisait le braille, était agrégé d'anglais, certifié d'allemand, diplômé d'italien et de scandinave ancien.

Maître Capello avait forgé le palindrome : « Éric notre valet alla te laver ton ciré ». Eric, ajoutait-il, peut être avantageusement remplacé par Luc. (Le Monde - 22.03.2011)

 

 

 

Jean-Pierre Melville
 

Avant d'aimer le cinéma, j'ai aimé le cirque. De cet amour, j'avais gardé une amitié : le clown Béby, qui était à cette époque le plus grand clown vivant, et que je devais adorer plus tard dans un court métrage de Bresson...
Pour faire mon galop d'essai, je décidai de tourner un court métrage avec lui. Nous étions en 1947 et j'avais de la pellicule Agfa que j'avais achetée en 1942... Nous tournions en muet et une sténo notait scrupuleusement ce que disait Béby dans son numéro. Mais une fois à l'auditorium, nous nous sommes aperçus qu'il ne savait pas lire, et il a fallu synchroniser mot par mot.


Jean-Pierre Melville, Cahiers du cinéma, n° 124, octobre 1961

 

 

Nicolas Bataille
 

 

Un soir, Monica Lovinesco, qui était depuis peu notre assistante à la mise en scène, m'apporta un manuscrit : "J'ai un ami qui a écrit une petite pièce. Tout le monde lui dit que c'est injouable. J'aimerais savoir ce que tu en penses." - "Comment s'appelle ton ami ?" -"Ionesco." Lorsque je lus le manuscrit de L'anglais sans peine, le premier titre de La Cantatrice chauve, ce fut pour moi, jeune comédien, une découverte : ce texte ne ressemblait en rien à ce que j'avais vu ou lu jusque-là. On y représentait des personnages anglais qui utilisaient entre eux un langage surprenant, paraissant sans suite, mais ayant tout de même une logique. Quelques jours plus tard, je rencontrai Ionesco qui m'expliqua : "Je voulais apprendre l'anglais, j'ai ouvert une méthode Assimil et j'ai découvert tout un monde qui s'exprimait d'une manière étonnante. J'ai donc fait parler mes personnages anglais comme des Français apprenant l'anglais". Et par le sous-titre de L'anglais sans peine, "Anti-pièce", il précisait que c'était une critique du théâtre bourgeois du début du siècle. "Alors, c'est vrai ? Vous voulez jouer ma pièce ? Mais tout le monde me dit que ce n'est pas jouable !" Pour nous, elle l'était et correspondait tout à fait à ce que nous cherchions pour notre petite troupe. Nous avons donc décidé de monter la pièce sans tarder. Le seul problème (à part celui de trouver un théâtre pour la jouer) c'était de changer de titre : L'anglais sans peine nous faisait penser à la pièce de Tristan Bernard L'anglais tel qu'on le parle. Or, un jour, pendant une répétition, le capitaine des pompiers récitant l'histoire du "rhume", eut un trou de mémoire, sauta trois lignes et au lieu de parler d'une cantatrice très blonde, nous présenta une cantatrice… chauve. Ionesco s'exclama : "Le titre est trouvé ! Ce sera La Cantatrice chauve ! Pour justifier ce titre, j'ajouterai quelques répliques".

 

 

 

Paul Fournel

 

... Je me souviens du jour où Perec a fini de le taper sur sa machine à boule. J'étais chez lui, il s'est levé en se tenant les reins, en disant "Oh, j'en ai marre, je suis crevé" et je lui ai demandé si sa machine avait bien marché, parce qu'il était très fier de son IBM à boule, à l'époque, et il m'a dit "Je la déteste !", et donc je la lui ai achetée. Instantanément, là, et je l'ai emmenée chez moi, et puis je l'ai branchée, tout content d'avoir moi aussi une IBM à boule, et elle n'a jamais marché. Elle a fini, comme ça, sur le mot "FIN" de "La vie mode d'emploi".


Extrait de "L'oulipo, mode d'emploi", film de Jean-Claude Guidicelli et Frédéric Forte (2010)

 

 

Gilles Sicard

 

... Un matin, en ouvrant son poulailler, Ménie découvre au milieu du terrible carnage un goupil étendu sur le dos, trop enflé sans doute de son festin pour repasser par le petit trou du grillage : « Ah canaille, le ciel t'a puni, te voilà crevé d'indigestion ! » Elle l'attrape par la queue et le jette sur le fumier d'où il s'enfuit ventre à terre !

Extrait de Le poirier du Pech (L'Harmattan)

 

 

Restif de La Bretonne

 

Dans "Les nuits de Paris", Restif de La Bretonne rapporte la scène suivante : pendant la Révolution, un condamné est amené à l'échafaud avec d'autres, dans une charrette. Il a son petit chien avec lui, qui l'a suivi. Avant de monter vers le supplice, il se tourne vers la foule pour savoir si quelqu'un veut s'en charger. L'animal est très affectueux, précise-t-il. Il le tient dans ses bras, il l'offre. Et la foule lui répond par des injures. Les gardes s'impatientent et arrachent le chien des mains du condamné, qui est aussitôt guillotiné. Le chien, en gémissant, va lécher le sang de son maître dans la corbeille. Exaspérés, les gardes finissent par tuer le chien à coups de baïonnettes. Alors, la foule se déchaîne contre les gardes. "Assassins ! Vous n'avez pas honte ? Qu'est-ce qu'il vous avait fait, ce malheureux chien ?"

Anecdote rapportée par Jean-Claude Carrière

 

 

Une histoire de chèvres (pas vraiment une anecdote, mais bon...)

 

Lettre de François Truffaut à Fernand Deligny, Paris, 29 octobre 1958

Cher Monsieur,

Je vous prie de pardonner mon long silence. J’étais très absorbé par la préparation de mon film que je commence dans une dizaine de jours. Marcel Moussy et moi nous félicitons d’avoir fait le voyage de Saint-Yorre, car votre collaboration dialoguée a été décisive pour la fin de notre scénario. C’est donc en tant que collaborateur des Quatre Cents Coups que vous trouverez ci-joint un chèque de Frs : 25.000, que je vous prie d’accepter aussi simplement que nous avons parlé. Ce n’est pas grand-chose, mais si j’ai bonne mémoire c’est le prix d’une chèvre de qualité suffisante.
J’ai rencontré l’acteur Serge Reggiani, à qui j’ai donné votre adresse, car il a été enthousiasmé par votre livre Adrien Lhomme (sic) dont il envisage, je crois, de tirer son premier film comme metteur en scène. Je pense que votre projet de court métrage est excellent et qu’il faudrait bientôt songer à le réaliser.
Nous gardons contact, nous correspondons jusqu’à ce que j’aie le grand plaisir de vous revoir, peut-être après la terminaison de mon film (janvier 1959).

Mon meilleur souvenir à votre femme, vos enfants, à tous vos pensionnaires et naturellement aux chèvres.

Bien cordialement vôtre

François Truffaut

PJ — 1 brochure Larousse,
1 chèque barré sur le Crédit Lyonnais n°0.631. 606 CC.
Au cas où vous ne pourriez pas le toucher, voulez-vous nous le renvoyer en nous précisant le mode de paiement qui vous convient.
 




Lettre de Fernand Deligny à François Truffaut, Thoiras (Gard), avril 1959

À François Truffaut

Les piles de notre petit poste de radio sont usées et nous ne pouvons plus entendre que Radio Monte-Carlo et voilà qu’hier soir quelqu’un a dit à ce poste-là que les Quatre Cents Coups avait été sélectionné pour le Festival de Cannes. Cette bonne nouvelle nous a rappelé que nous vous attendons, comme écrit depuis le mois de janvier et nous sommes en avril et les lilas sont fleuris, le thym aussi et la menthe et la barbe aux joues et au menton des gars qui ont émigré avec nous.
Nous sommes arrivés fin janvier ici, à une dizaine de kilomètres de Saint-Jean-du-Gard. La maison et son monument de cheminée ont plus de cinq cents ans et, tout compte fait, avec son/leur air de dominer la vallée creusée par la Salindringue, elles sont sur le chemin qui va de Paris à Cannes.
Du coup, nous sommes à peu près certains de vous voir bientôt.

F. Deligny
L’Arbousier
Thoiras
Gard


PS - Le troupeau de chèvres a été décimé par la douve et la strongylose. De cinquante, il en reste treize. Nous nous allons bien.

 

 

Jean Yanne

 

Jean Yanne raconte dans je ne sais quel bouquin de mémoires, qu'il a gagné un prix d'interprétation aux Etats-Unis pour "Le Boucher" de Chabrol. Stéphane Audran, qui partageait l'affiche du film,  était également récompensée. Mais, à cause de leurs prénoms, lui a reçu le prix d'interprétation féminine et elle le prix d'interprétation masculine.
 

 

 

 

Alexandre Dumas (Mes mémoires)...

 

... Je courus au théâtre. Dorval était déjà en scène, occupée à défriser ses cheveux et à déchirer ses fleurs. Elle avait des moments de désordre passionné que personne n'avait comme elle.
Les machinistes faisaient leur changement, tandis que Dorval faisait le sien.
On applaudissait avec frénésie.
- Cent francs, criai-je aux machinistes, si la toile est levée avant que les applaudissements aient cessé !
Au bout de deux minutes, on frappait les trois coups ; la toile se levait, et les machinistes avaient gagné leurs cent francs.
Le cinquième acte commença littéralement avant que les applaudissements du quatrième se fussent apaisés.
J'eus un moment d'angoisse. Au milieu de la scène d'épouvante où les deux amants, pris dans un cercle de douleurs, se débattent sans trouver un moyen ni de vivre ni de mourir ensemble, un instant avant que Dorval s'écriât : « Mais je suis perdue, moi ! » j'avais, dans la mise en scène, fait faire à Bocage un mouvement qui préparait le fauteuil à recevoir Adèle, presque foudroyée par la nouvelle de l'arrivée de son mari. Bocage oublia de tourner le fauteuil.
Mais Dorval était tellement emportée par la passion, qu'elle ne s'inquiéta point de si peu. Au lieu de tomber sur le coussin, elle tomba sur le bras du fauteuil, et jeta son cri de désespoir avec une si poignante douleur d'âme meurtrie, déchirée, brisée, que toute la salle se leva.
Cette fois, les bravos n'étaient point pour moi ; ils étaient pour l'actrice, pour l'actrice seule, pour la merveilleuse, pour la sublime actrice !
On connaît le dénouement, dénouement si inattendu, et qui se résume dans une seule phrase, qui éclate en six mots. La porte est enfoncée par M. d'Hervey au moment où Adèle, poignardée par Antony, tombe sur un sofa. « Morte ? s'écrie le baron d'Hervey. – Oui, morte ! répond froidement Antony. Elle me résistait : je l'ai assassinée ! » Et il jette son poignard aux pieds du mari.
On poussait de tels cris de terreur, d'effroi, de douleur dans la salle, que peut-être le tiers des spectateurs à peine entendit ces mots, complément obligé de la pièce, qui, sans eux, n'offre plus qu'une simple intrigue d'adultère dénouée par un simple assassinat.
Et, cependant, l'effet fut immense. On demanda l'auteur avec des cris de rage. Bocage vint et me nomma.
Puis on redemanda Antony et Adèle, et tous deux revinrent prendre leur part d'un triomphe comme ils n'en avaient jamais eu, comme ils n'en devaient jamais ravoir.
C'est que tous deux avaient atteint les plus splendides hauteurs de l'art !
Je m'élançai hors de ma baignoire pour courir à eux, sans faire attention que les corridors étaient encombrés de spectateurs sortant des loges.
Je n'avais pas fait quatre pas, que j'étais reconnu. Alors, j'eus mon tour comme auteur.
Tout un monde de jeunes gens de mon âge – j'avais vingt-huit ans – pâle, effaré, haletant, se rua sur moi. On me tira à droite, on me tira à gauche, on m'embrassa. J'avais un habit vert boutonné du premier au dernier bouton : on en mit les basques en morceaux. J'entrai dans les coulisses comme lord Spencer rentre chez lui, avec une veste ronde ; le reste de mon habit était passé à l'état de relique.
Au théâtre, on était stupéfait. On n'avait jamais vu de succès se produisant sous une pareille forme ; jamais applaudissements n'étaient arrivés si directement du public aux acteurs – et de quel public ? du public fashionable, du public dandy, du public des premières loges, du public qui n'applaudit pas d'habitude, et qui, cette fois, s'était enroué à force de crier, avait crevé ses gants à force d'applaudir.
Crosnier était caché. Bocage était joyeux comme un enfant. Dorval était folle !
Oh ! bons et braves coeurs d'amis, qui, au milieu de leur triomphe, semblaient jouir encore plus de mon succès que du leur ! qui laissaient de côté leur talent, et qui, à grands cris, exaltaient le poète et l'oeuvre !
Je n'oublierai jamais cette soirée ; Bocage ne l'a point oubliée non plus. Il y a huit jours, nous en parlions comme si cela se fût passé la veille ; et, pour peu que l'on se souvienne encore de quelque chose là-haut, Dorval s'en souvient aussi, j'en suis sûr !
Maintenant, après nous être embrassés, que devînmes-nous ? Je n'en sais rien. Comme autour de tout ce qui est lumineux, il y a, sur le reste de la soirée et de la nuit, un brouillard que ma mémoire ne peut percer, à vingt deux ans de distance.
Au reste, une des spécialités du drame d'Antony était de retenir les spectateurs jusqu'au tomber du rideau. Comme la morale de l'ouvrage était dans ces six mots, que Bocage disait, d'ailleurs, avec une dignité parfaite : « Elle me résistait : je l'ai assassinée ! » chacun restait pour les entendre, et ne voulait partir qu'après les avoir entendus.
Il en résulta ceci.
Deux ou trois ans après la première représentation d'Antony, Antony devint la pièce de toutes les représentations à bénéfice. Si bien qu'un jour on demanda à Dorval et à Bocage la pièce pour le théâtre du Palais-Royal.
Au bénéfice de qui était la représentation ? Je ne me le rappelle plus, et cela ne fait rien à la chose.
La pièce eut son succès ordinaire, grâce au jeu des deux grands artistes ; seulement, le régisseur, mal renseigné sur le moment où il fallait crier : Au rideau ! fit tomber la toile sur le coup de poignard d'Antony ; de sorte que le public fut privé de son dénouement.
Ce n'était point son affaire : le dénouement, voilà ce qu'il voulait surtout ; aussi, au lieu de s'en aller, se prit-il à crier de toutes ses forces :
- Le dénouement ! le dénouement !
Les cris devinrent tels, que le régisseur pria les artistes de permettre qu'on relevât le rideau, afin qu'ils pussent achever la pièce.
Dorval, toujours bonne fille, reprit sur son fauteuil sa pose de femme tuée, et l'on se mit à courir après Antony.
Mais Antony était rentré dans sa loge, furieux qu'on lui eût fait manquer son effet de la fin, et, retiré sous sa tente comme Achille, comme Achille il refusa obstinément d'en sortir.
Pendant ce temps, le public applaudissait, criait, appelait : « Bocage ! Dorval !... Dorval ! Bocage ! » et menaçait de briser les banquettes.
Le régisseur leva la toile, espérant que Bocage, mis au pied du mur, serait forcé d'entrer en scène :
Bocage envoya promener le régisseur.
Cependant, Dorval attendait sur son fauteuil, le bras pendant, la tête renversée en arrière.
Le public aussi attendait. Le plus profond silence s'était fait ; mais, une minute écoulée, comme il vit que Bocage n'entrait pas en scène, il se mit à applaudir, à appeler, à crier de plus belle.
Dorval sentit que l'atmosphère tournait à la bourrasque ; elle ranima son bras inerte, redressa sa tête renversée, se leva, s'avança jusqu'à la rampe, et, au milieu du silence, ramené comme par miracle au premier mouvement qu'elle avait risqué :
- Messieurs, dit-elle, je lui résistais, il m'a assassinée !
Puis elle tira une belle révérence, et sortit de scène, saluée par un tonnerre d'applaudissements.
La toile tomba, et les spectateurs se retirèrent enchantés. Ils avaient leur dénouement, avec une variante, c'est vrai ; mais cette variante était si spirituelle, qu'il eût fallu avoir un bien mauvais caractère pour ne pas la préférer à la version originale.

 

 





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